Une histoire d’Oiseaux: les Grues

par | Oct 29, 2017 | Identifier | 0 commentaires

Nouveau numéro d’Une histoire d’Oiseaux ! Intéressons-nous à un oiseau véritable symbole de la migration, au cri en trompette reconnaissable entre mille et au physique de grand voilier: les grues ! En première partie, nous allons aborder la grande famille des grues. Dans une seconde, nous nous intéresserons à la Grue cendrée, qui traverse actuellement la France pour sa migration postnuptiale.

Une histoire de famille

Comme toujours dans Une histoire d’Oiseaux, faisons un petit point « Classification » !

La famille des grues (la famille des gruidés), composée de 15 espèces, fait partie de l’Ordre des Gruiformes. Les grues ont pour cousines des oiseaux tels que la Gallinule poule d’eau (de la famille des Rallidés), le Turnix mugissant (de la famille des Turnicidés) et la Grébifoulque d’Amérique (de la famille des Héliornithidés).

Dans cette famille, on peut distinguer deux sous-familles :

  • Les grues « vraies » : 13 espèces de grues, réparties en trois genres (dont « grus », le genre de notre Grue cendrée). Ce sont des espèces présentes, à deux exceptions près, dans l’Hémisphère Nord.  Il s’agit de genres récents, apparus durant le Miocène.

  • Les grues dites « couronnées » : cette sous-famille rassemble deux espèces africaines, dans un seul genre. Très ancien, il était représenté par plusieurs espèces européennes et nord-américaines aujourd’hui disparues.

    Dans ce numéro d'Une histoire d'Oiseaux, intéressons-nous à la famille des Grues, dont fait partie la très connue Grue cendrée

Les grues couronnées sont aisément reconnaissables grâce à leurs longues et fines plumes dorées dressées sur la tête.

Le statut de ces quinze espèces est très différent. On peut néanmoins constater que, de façon générale, les grues sont bien souvent des espèces menacées. En effet, sur quinze espèces, 5 ont un statut « Vulnérable » (selon la Liste rouge mondiale des espèces menacées de l’IUCN), 5 sont « En danger » et une est « En danger critique ».

Nous avions d’ailleurs évoqué dans notre article « A la recherche de l’oiseau rare – Episode 2«  l’histoire incroyable des tentatives de conservation de la Grue blanche, une grue américaine. Les efforts des scientifiques pour la sauver ont permis de faire grandir leur petite population sauvage de 19 individus en 1945 (ouioui, 19) à 388 de nos jours (seule une partie a été réintroduite dans la nature).

Si le statut de conservation de notre chère Grue cendrée est aujourd’hui « Préoccupation mineure », il convient tout de même de préciser que son aire de répartition diminue sans cesse.

Reconnaissables entre mille

Même le plus néophyte des observateurs sera reconnaître une grue, quelque soit son espèce ! De grandes pattes fines, un cou très allongé, une taille imposante (allant jusqu’à 150cm de hauteur) et, à l’exception de deux espèces (la Grue demoiselle et la Grue de Paradis), une zone de peau dépourvue de plumes et colorée de rouge du fait d’afflux sanguins : difficile de confondre une grue avec un autre oiseau !

En vol, les grues présentent de larges ailes digitées : ce sont des planeurs hors pair ! Contrairement aux cigognes ou aux vautours, autres oiseaux dont la surface alaire est importante, les grues pratiquent aussi bien le vol plané que le vol battu.

Les espèces de grues qui vivent dans des espaces très dégagés sont souvent très grandes et présentent un plumage blanc. La prédation terrestre dans ces milieux est en effet faible, elles peuvent facilement voir arriver un quelconque danger. A contrario, les espèces qui occupent des milieux plus fermés, à la pression de prédation plus fort, sont de taille plus petite et au plumage sombre.

Découvrez le plumage immaculé de la sublime Grue du Japon dans cette courte vidéo de National Geographic :

 

Les grues ne présentent pas de pattes palmées mais une petite membrane lie leur doigts, au niveau de leur naissance. Les grues couronnées possèdent un doigt opposé long et préhensile, ce qui leur permet de se percher.

Grandes pattes et long bec permettent aux grues de se déplacer dans les zones humides. Elles affectionnent en effet les milieux comme les marais, où elles peuvent trouver leur nourriture. Lorsqu’elles exploitent des marais littoraux, comme c’est le cas de la Grue Brolga, une grue australienne, des glandes situées près des yeux permettent d’exsuder le sel présent dans l’eau. Un système que l’on retrouve chez les oiseaux marins comme les puffins. Les grues Demoiselle et de Paradis exploitent quant à elles non pas des marais mais des espaces ouverts et secs. De ce fait, elles présentent de petites pattes, afin de se déplacer rapidement, et un bec court (nul besoin de sonder l’eau pour de quoi manger).

Des Pavarotti en puissance

Lorsqu’il est question de chants, les champions de la virtuosité sont sans conteste les passereaux. Si les grues ne peuvent rivaliser avec ceux ci, l’étendue de leur répertoire est néanmoins très large. Elles utilisent des émissions sonores à de nombreux moments de leur vie en général et de leur journée en particulier. Maintenir le lien avec d’autres individus, prévenir d’un danger : les grues sont des oiseaux grégaires, elles ont donc beaucoup d’occasions de « papoter » ! Mais ce moyen de communication n’est pas là par hasard : il est essentiel pour l’intégration des individus dans le groupe.

Lors de la période de reproduction, les sons produits deviennent encore plus spectaculaires. Accompagnant les « danses » rituelles de parades, ils permettent de créer ou de resserrer les liens entre les deux partenaires. Cette sérénade nuptiale est d’autant mieux exécutée que les deux partenaires sont âgés : elle nécessite de l’expérience et un travail d’apprentissage.

Voici quelques images magiques de la parade nuptiale chez la Grue cendrée :

Les grues présentent une particularité anatomique qui leur permet de produire des sons portant particulièrement loin. Leur trachée est très allongée et vient s’enrouler au niveau du bréchet. Ce système agit comme une caisse de résonance : les sons sont entendus de très loin, parfois plusieurs kilomètres. Ce système est particulièrement accentué chez la Grue cendrée dont la trachée est démesurément allongée.

Une silhouette familière : la Grue cendrée

La Grue cendrée est un personnage clé de nos cieux au printemps et en automne : elle parcourt en effet notre pays d’est en ouest (ou d’ouest en est, c’est selon) lors de ses migrations. A noter qu’un certain nombre d’entre elles reste en France durant l’hiver. Elles y trouvent les zones humides et la nourriture nécessaires pour passer la mauvaise saison.

Son cou et ses pattes très longues font d’elles le plus grand oiseau d’Europe. Les plumes de sa queue sont bien cachées : le panache de plumes noires que l’on aperçoit à l’arrière de l’oiseau posé est en réalité les rémiges tertiaires (les plumes qui recouvrent les épaules et une partie du dos).

Les jeunes, comme toujours chez les oiseaux, ont un plumage plus sobre que les adultes. Leur cou et leur tête tirent vers le roux. Il ne leur faudra que quelques mois pour acquérir un plumage très ressemblant à celui des adultes. Néanmoins, en cette période de migration postnuptiale, il est facile de les observer: leur apparence et leur cri, plus aigu, les différencient encore des adultes. Ce cri  s’explique notamment par le fait qu’il faut presque un an pour que le bréchet se déforme afin de s’adapter aux circonvolutions de la trachée qui s’allonge.

Les grues cendrées se reproduisent dans les zones boisées ou humides, voire sur un îlot, en toute discrétion. Les grues cendrées sont des oiseaux très fidèles qui, sauf malheur, reste avec le même partenaire toute leur vie. 

Sur la carte suivante sont visualisées les zones de nidification (en rouge), les zones d’hivernage (en bleu) et les couleurs de migrations (en pointillés).

Carte de répartition de la Grue cendrée

Nous avons la chance incroyable en France d’être pile sur l’un de ces couloirs ! Les zones d’hivernage signalées sur la carte sont situées en Champagne-Ardenne et dans les Landes. Elle peut y trouver les végétaux qu’elle consomme durant cette période: glands de chêne vert, maïs, céréales diverses mais aussi quelques insectes (forficule, coléoptère).

En période de reproduction, elle a en revanche besoin d’un apport protéinique important. Elle va alors consommer en majorité des insectes, des escargots, des vers de terre. Les grues cendrées ne dédaignent pas non plus de petits reptiles et des micro-mammifères. Elles peuvent également piller des nids de passereaux ou de limicoles mais c’est bien plus rare.

Aujourd’hui, le statut de la Grue cendrée n’est pas considérée comme alarmant. Néanmoins, il convient de rester prudent car des nuances entre les différentes populations dans le monde existent. La Grue cendrée est en effet celle dont l’aire de répartition est la plus vaste des quinze espèces de grues. Des zones humides, des marais, des zones littorales sont de plus en plus menacés par l’expansion des activités humaines. Or, les grues n’aiment rien de plus que la discrétion et la quiétude de leurs marais ! C’est en détruisant leurs habitats au profit de l’humain que les grues cendrées ont cessé de nicher dans toute la moitié sud de l’Europe (dont la France). Si son statut de protection lui a permis de connaître un regain, elle n’a pas retrouvé ses populations d’antan.

Mais pour finir sur une note positive, admirons la magnifique Grue cendrée voler au-dessus de Venise :

Une reproduction exceptionnelle en Angleterre

La population de Grue cendrée au Royaume-Uni reprend doucement du poil de la bête 400 ans après leur disparition, notamment grâce au projet de réintroduction de 5 ans achevé en 2015, le Great Crane Project. Et dans une réserve naturelle située dans l’Oxfordshire, une heureuse nouvelle est venue couronner cette saison de reproduction: un couple nicheur a donné naissance à un poussin viable, une première depuis 500 ans !

La réserve naturelle d’Otmoor est devenue un paradis pour l’avifaune depuis la restauration de ses zones humides, des milieux particulièrement favorables pour les grues cendrées mais également les butors, busards des marais et autres courlis.

Quatorze poussins ont pris leur envol cette année parmi les oiseaux réintroduits dans le cadre du Great Crane Project: cela marque la meilleure année jamais enregistrée !

Et c’est tout pour aujourd’hui ! Vous avez des questions ? Une petite envie de papoter d’oiseaux ? Une idée de sujet, d’une thématique que vous souhaiteriez que j’aborde dans un article ? Retrouvez-moi sur FacebookTwitterInstagramPinterest et LinkedIn

Sources et recommandations :